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2,,body-writing

,,,,,,.................................................................Ecritures sur corps réalisées au pinceau calligraphique et à l'encre de chine

,,,,,,J'ai longtemps été titillé par le célèbre vers de Mallarmé dans son poème intitulé "Brise marine" :" La chair est triste, hélas ! Et j’ai lu tous les livres."

,,,,,,,Jeux de corps, jeux de mots, tel est l’axe de ce travail d’écriture sur corps. Je place souvent des références littéraires avec mon pinceau calligraphique sur la peau de mes modèles. J'aime bien jouer sur les mots, ainsi ai-je écrit « je recherche Isidore, l’homme du casse » sur Nathalie en référence à Lautréamont, ou bien « c’est gur, dit la comtesse, la madeleine à la bouche » Proust et Ségur associés, sur le corps de Melle Sophie. Du temps de Boris Vian j’aurai sans doute fait partie du mouvement pataphysique ou bien Oulipien. En résumé, mon écriture est ludique et mes photo un rien érotique. La référence historique de l’écriture sur corps est à trouver, tel que j’entends la pratiquer, c'est-à-dire en connivence, dans le livre d’Ovide écrit il y a vingt siècles, intitulé « l’art d’aimer » où l’auteur, dans ses conseils prodigués aux femmes, leur propose cette ruse pour donner rendez-vous à leur amant sans se faire prendre par leur mari : écrire le lieu et l’heure du rendez-vous sur le dos d’une servante et envoyer celle-ci se faire lire par son amant. D’une part la servante ne sait pas ce qui est écrit et d’autre part si le mari lit le texte, la femme peut lui demander pourquoi et comment il se fait qu’il ait déshabillé la servante (de plus, par ce stratagème, elle peut aiguiser l’appétit de son amant). Mais la référence ultime est bien sûr à trouver dans les pratiques magiques de l’antiquité, car en soi l’écriture sur corps était une forme de magie et servait à appeler les faveurs des dieux et à conjurer des maux physiques ou psychiques en étant appliquée à même le corps comme les tatouages retrouvés sur le corps momifié d’Ötzi vieux de 5300 ans. Quant à la photo, elle est là pour momifier le jet d’encre dans et par les sels d’argent.

,,,,,,, Ce ne sont pas vraiment des nus dans la mesure où les histoires sont l'étoffe du monde.

 

(Cliquez sur les photos pour voir les séries)

;,,,,.....,,,,;Série 1 - écrits sur corps

;;;;;;,Corps écrits-01,,,,,,,,, ,,,,,,,,..........................................,,,,,, Corps écrits-02-Sophie,,,,

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Corps écrits-03-Clo,,..........................., ..,,,,,,,,...........,,,,,::::::Corps écrits-04-La coiffeuse

 

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Corps écrits-05-Yasmina;, ;;...................................................,;,;;,;,, Corps écrits-06-La voisine

 

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-Corps écrits-07-Yo-Cath,,,,,....................,,,,,;Corps-ecrits-08-Anne-Laure

 

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Corps-ecrits-9-Les mecs,,.............................................,;,;;....;;;;,,Corps-ecrits-10-Punks

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Corps-ecrits-11-L'étudiante,,,,, ........................... ,,,,,Corps-ecrits-12-Blandine-Cécile

 

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Tirages à l'éponge et/ou à l'eau de javel ,,,,,,,,,,,,,,;;...........,;,,,,,;....;; Corps-écrits-13- La ballade parisienne

Body-Writing

J'ai commencé mon travail graphique benoîtement par le dessin et la peinture: des nus, des portraits imaginaires et introspectifs, des délires métaphysiques.

Puis j'ai eu besoin d'être plus extraverti pour ne pas devenir zinzin et pour cela je suis venu à la photographie avec les mêmes axes: nus, portraits et exploration des champs visuels et imaginaires.

Enfant je rêvais de devenir explorateur. Au final j'ai beaucoup exploré le corps féminin. Je me suis intéressé au body-painting (ex: Yves Klein, Diakonoff, etc.) et de là j'ai voulu voir ce que pouvait donner le body-writing, l'écriture sur corps à même la peau.


Je me suis dit que dans le mot "photographie" il y avait "graphie" et donc possibilité d'écriture et aussi le fait que le corps est un lieu d'histoires et d'aventures formidables. Je me suis donc lancé bille en tête et à corps perdu dans l'exploration de ce mode d'expression. Si je privilégie le corps féminin, c'est d'une part ma libido qui m'y aiguille, d'autre part la pilosité masculine a tendance à entraver la marche de mon pinceau calligraphique. Je prône une écriture ludique, aventureuse et chatouilleuse. C'est en quelque sorte un clin d'œil au vers de Mallarmé: " La chair est triste, hélas ! Et j’ai lu tous les livres."

Le fait d'écrire au pinceau sur la chair de mes modèles me sort aussi du rôle traditionnel du photographe en position de voyeur. C'est du travail manuel! Pas du virtuel, pas du Photoshop!

Il y a eu aussi une interview de Marguerite Duras dans un Libé de l'époque qui m'avait interpellé: elle dissertait sur la spécificité de l'écriture féminine. Je me suis interrogé sur la spécificité de l'écriture masculine: et bien je n'ai rien trouvé de spécifique.
Par contre j’ai trouvé dans un texte vieux de 2000 ans, celui de « L’art d’aimer » d’Ovide, ce passage où celui - ci explique un stratagème féminin pour tromper son mari et rejoindre son amant : écrire le lieu et l’heure du rendez-vous galant sur le dos d’une jolie servante et envoyer celle-ci visiter l’amant. Si le stratagème est dévoilé, la femme peut se retourner contre son mari et lui demander des comptes sur le fait qu’il ait dénudé la servante.
d'un autre côté, elle met son amant en appétit. Cet ancien texte met aussi en évidence le fait que d'écrire sur quelqu'un n'est pas forcément synonyme d'écrire à cette même personne.

La difficulté à écrire sur quelqu‘un vient du fait que l’écrit s’utilise dans l’absence de l’interlocuteur, la parole étant le vecteur normal quand la personne est physiquement présente.

L'autre difficulté vient du fait que le corps est un volume où le texte se perd dans les replis de celui-ci et parfois s'enroule autours.

J'ai donc mené cahin-caha cette exploration du rapport entre le photographe et son modèle, du jeu entre le texte et le corps, entre le texte et l'image, du temps qui passe et ne passe pas.

Car j'ai une autre spécificité: je procrastine, il y a souvent un décalage de plusieurs années, voire des décennies, entre la prise de vue et le tirage photo et aussi entre le tirage photo et le fait de l'exposer dans une galerie (quand j'en trouve une, je ne suis pas très doué pour ça...Avis aux amateurs). Mais je dis que si une œuvre est bonne, elle est et doit être intemporelle.

Rétrospectivement mes photos des années 80 me semblent encore très actuelles, à part la pilosité dans la région pubienne qui a évoluée vers une quasi disparition, et font vibrer un air de liberté et d'insouciance, qui est du à mon avis à l'époque exceptionnelle de leur réalisation: la seule et encore unique période de l'humanité, située approximativement entre 1968 et 1986, où les femmes et les hommes pouvaient gérer leur sexualité grâce à la pilule et en même temps ne pas être en danger d'exposition du SIDA. Une période où j 'ai vu, de mes yeux vu, des jeunes filles marcher seules fièrement en minijupe au centre de Kaboul comme à Téhéran où à Lahore (en même temps j'ai vu les femmes en tchador marcher en parallèle indiquant le fossé abyssale qui séparait ces femmes, ce qui nous mêne à un gros problème: l'atavisme). Un temps béni, utopique, qui peut-être reviendra.

 

Textes critiques

art press N°107
parure

Texte de MICHEL NURIDSANY

Critique d'art

Corps écrits
L'écriture, dit-on, est une pratique de séduction. Elle l'est à l'évidence pour Thierry Le Moign qui, avant de les photographier, pare de textes étranges le corps de ses modèles.

Malgré tout le mal qu'on peut en penser d'autre part — et dieu sait s'il y a à dire là- dessus ! — l'exposition Vienne à Beaubourg a eu, pour moi, le mérite insigne de donner à voir, outre les gravures d'Alfred Kubin, l'étrange et fascinante collection de photographies et de cartes postales de jeunes filles nues, du poète Peter Altenberg, sur lesquelles il écrivait des déclarations enflammées, des adresses fulgurantes et tendres, d'un érotisme émerveillé, quelques mots, œuvres secrètes de l'un des écrivains les plus singuliers et les plus mal connus en France parmi ceux qui firent le renom de ce qu'on a appelé la «joyeuse apocalypse» viennoise.
J'ai retrouvé comme un écho de ces »fragments d'un discours amoureux» dans les photographies noires et lumineuses de Thierry Le Moign, œuvres composites où le texte et l'image se correspondent, se répondent, n'existent qu'en fonction l'un de l'autre. De Thierry Le Moign on ne dira pas qu'il est un écrivain qui se sert de la photographie ou un photographe qui, d'autre part, écrit : chez lui l'image et l'écrit se fondent jusqu'à se perdre l'un dans l'autre.
Mais Thierry Le Moign, au rebours du poète que j'évoquais, n'écrit pas sur les images une fois la photographie faite (et même faite par d'autres), il écrit lui-même, au pinceau, un texte, une phrase, un mot sur la poitrine, les femmes, la cuisse, le cou, la nuque de jeunes femmes, de jeunes hommes qu'il prend, après, en photo. Didier Semin, dans le texte du catalogue de l'exposition qu'il présenta au musée des Sables d'Olonne (mai-juin 1986), évoque la nouvelle de Kafka intitulée La colonie pénitentiaire où les délinquants sont condamnés à l'inscription, sur leur corps, du texte de la Loi, jusqu'à ce que mort s'ensuive. Ici, ce serait presque le contraire. Au poinçon, au feu du fer qui perce, coupe et meurtrit, Thierry Le Moign a substitué les caresses du pinceau qui oint le corps, le fête et le magnifie, le pare, à la manière dont Gustave Moreau fête la nudité magnifique de ses Salomé autoritaires qui subjuguaient tant André Breton.
Les corps que nous montre Thierry Le Moign ne sont pas blessés par l'écriture, ils s'épanouissent dans la richesse du sens qui multiplie leur être. Le verbe se fait chair et le corps écriture. Ce qui est dit, et qui ressemble à des notes, à des petites phrases jetées dans les marges d'un journal intime à la syntaxe approximative, à l'orthographe parfois fautive, importe relativement peu. Il est question d'amour, de sexe, d'aventures dont nous ne connaitrons que peu de choses par un nom, une allusion, comme si ces textes ne nous étaient pas destinés mais produits pour le seul usage de Thierry Le Moign qui, nous transformant en voyeurs de son texte et de ses images, nous pousse à nous interroger sur notre rôle dans tout cela.
L'essentiel demeure d'une part ce mouvement du corps qui s'incorpore le corps de l'écrit et qui devient écriture, et d'autre part dans l'érotisation du propos. C'est là que la photographie intervient, dans le cadrage qui organise le jeu des ombres et déréalise, qui fascine et séduit. Il est d'autres photographes qui ont utilisé l'écriture, qui ont établi de subtils dialogues entre les deux pratiques ; il n'en est pas, à mon avis, qui se sont aventurés aussi loin que Thierry Le Moign, avec autant d'audace et d'invention.


 

 

art press N°105

Le Mouvoir des peaux

Texte de PIERRE GIQUEL

Professeur à l'école Supérieure des Beaux-Arts de Nantes

Thierry Le Moign - Musée de l'Abbaye Sainte-Croix
Mai-juin 1986
A la fin du XIX. Siècle, certains médecins répertoriaient les cas cliniques en écrivant à la pointe-sèche sur le corps de leurs malades. Les mots réapparaissaient, rouges, au bord des fines plaies, parfois même le sang perlait. Cette violence dominatrice, Thierry Le Moign la conjure en affirmant au con­traire l'acte d'amour qui précède l'acte photographique, non sans évacuer le trouble qui l'anime quand il dispose ainsi des corps.
Pour des raisons d'éthique personnelle, Thierry Le Moign dit ne pas vouloir outrepasser une fonction qui le rendrait entièrement maître de l'autre. L'approche du modèle est lente, une confiance mutuelle semble devoir s'établir avant que ne se précisent les mots. En somme, toute une circulation dans cet échange «invraisemblable» est appelée à jouer un rôle déterminant dans la mise en place de la «machine textuelle».
La photographie peut mettre en suspens une fascination qui n'était pas réciproque. Et si la tentation du peintre est de se plonger dans le «mouvoir des peaux», l'écrivain prend possession du territoire en évitant le plus possible ce rapport qui le conduirait à mésestimer son rôle. A ce titre, le récit autorise la distance. D'où les digressions, les notes biographiques, les citations, la remarque intime, les romances, les jeux de langue. «Je recherche Isidore, l'homme du casse». Ce détachement n'exclut pas l'exaltation ni l'excès. Et le détournement par quoi passe cette danse muée en de si peu sages histoires dit également cette perte des corps, des orages, des caresses. La dette à payer est dès lors littéraire et plastique, elle engage son auteur à mesurer désormais sa propre histoire, à l'ordonner, organiser à partir des accueils divers les pages de chair qui la fondent.

N.B. - Les mots en italiques sont tirés du «Roman photo » de Thierry Le Moign.

 

Cahier Hors-série du Musée de l'Abbaye Sainte-Croix des Sables d'Olonne

Texte de DIDIER SEMIN

Professeur à l'école Supérieure Nationale des Beaux-Arts de Paris

LE MOIGN DIPLOMATE

J'avais à une époque le projet de me faire tatouer un minuscule dragon rouge à mi-chemin du sommet de l'épaule gauche. Mais j'avais lu quelque part que, parfois, l'encre des tatouages empoisonnait le sang et que des japonais étaient morts pour avoir voulu faire de leur corps une calligraphie mouvante : j'y avais vu une illustration, terrifiante d'être passée du côté du réel, de l'allégorie kafkaïenne de La Colonie Pénitentiaire : les délinquants y sont soumis à l'action d'une étonnante machine, qui grave la Loi sur leur dos jusqu'à ce que mort s'ensuive. Probablement Kafka ne pensait-il qu'assez peu au tatouage, et les ravages causés par la seule loi du langage sont-ils infiniment plus grands dans les corps que ceux des aiguilles d'un artisan des bas-fonds de Hong-Kong ou d'Amsterdam. Pourtant., j'ai hésité, et je ne suis toujours pas tatoué. Mais le geste de l'écriture sur la peau n'a rien perdu de son pouvoir de fascination. Et celui de Thierry Le Moign tout particulièrement, qui substitue à l'agressivité du poinçon et l'irrémédiable du tatouage la caresse du pinceau, l'éphémère de la peinture et du constat photographique. A la question banale mais inévitable - lors de la première visite d'atelier - du pourquoi faites-vous ça (pourquoi des textes peints sur des corps plutôt que l'écriture sur papier, pourquoi photographier ces textes et leurs supports plutôt que les imprimer, etc...) Thierry Le Moign avait assez justement répondu que l'écriture était pour lui un geste de séduction (« amour de lecteur » écrivait magnifiquement Francis Ponge) et qu'il avait quelque peine à imaginer que cette séduction s'exerce dans l'absence du référent propre au mécanisme du langage, c'est-à-dire dans l'absence du corps, du souffle, de l'épiderme. Ses photographies sont une manière perverse d'essayer d'échapper à cette tyrannie de la langue que stigmatise la Machine de La Colonie Pénitentiaire : on sait qu'il n'y a d'autre issue à cette tyrannie que la folie ou, peut-être, ce que nos sociétés regroupent sous la rubrique : art.
Toutes les postures du corps pris dans le désir de séduire y sont envisagées : complices (« c'est gur la vie dit la comtesse »), où se dérobant (« je bricole sur sa peau pendant qu'elle se penche sur le journal »), provocantes (« des maris veulent me faire ma fête »), contradictoires (« se mettre dans la peau de ses peaux »), masculines ou féminines... comme si Thierry Le Moign tentait d'exacerber cette fonction du langage que Roman Jakobson appelle phatique, qui ne se résume pas à la communication d'un message mais à l'établissement d'un rapport entre les interlocuteurs, qui peut être d'autorité, de courtoisie - ou de séduction. Il s'agit d'une tentative : on ne sort pas de la Loi - Bataille nous rappelle même qu'elle est là pour que la transgression soit possible. Mais il revient à l'art de nous indiquer des perspectives, quelque chose comme une issue refermée aussitôt qu'entrevue. Les calligrammes de Thierry Le Moign esquissent, comme sans en prendre réellement conscience, un rapprochement de ces antagonistes séculaires que sont le corps et l'écrit.

 

 

Un portfolio est disponible, n'hésitez pas à me contacter:

thierrylemoign@gmail.com